Si vous êtes Bordelais, vous ne pouvez pas ne pas connaître Jean-Pierre Xiradakis, gastronome émérite, « grande gueule » de la bonne bouffe et fervent défenseur des produits régionaux et des traditions culinaires locales. Depuis 1968, il a « colonisé » la rue Porte de la Monnaie avec ses six établissements : La Tupina (tête de file), Le Comestible, le Bar-Cave de la Monnaie, le Café Tupina, la Maison Fredon (chambres d’hôtes) et le dernier né de la famille, Kuzina.
Jean-Pierre est un personnage haut en couleurs, fort en gueule, la mémoire de la gastronomie d’Aquitaine à lui seul ! Alors quand j’ai reçu cette invitation pour déguster des pibales à Kuzina, sous la houlette de Xira, je n’ai pas hésité.
Vous avez dit pibale ? Mais oui, les pibales (autrement appelées civelles), sont des bébés-anguilles qui se vendent plus de 300 euros le kilo et qui contribuent à la richesse gastronomique de l’Estuaire de la Gironde.
L’adage « tout ce qui est rare est cher » s’applique à merveille à ces petits poissons précieux. Autrefois, les pibales étaient monnaie courante en Aquitaine, et constituaient une denrée quotidienne. Pour l’anecdote, il en était de même pour les oeufs d’esturgeons sauvages, que l’on jetait aux poules et avec lesquels on faisait de la colle !
Mais à cause du trafic, du braconnage, de la pollution et des barrages, la profusion des pibales est une histoire ancienne. De nouveaux marchés se sont ouverts en Asie, où la demande est forte. Au Japon, en Chine ou à Hong-Kong, on achète les pibales vivantes pour les élever et en faire des anguilles, très convoitées en Asie. Aujourd’hui, l’Union Européenne a mis en place des quotas, la pêche est extrêmement règlementée et les autorités sont très vigilantes sur le marché noir. Jean-Michel Labrousse, Président du (attention c’est long) « Comité Départemental des Pêches Maritimes et des Elevages Marins de Gironde » ajoute aussi qu’une partie de ces quotas est dédiée au repeuplement.
La bonne nouvelle de la saison 2012-2013 (la saison des pibales court généralement du 15 novembre au 15 mars en Gironde), c’est que les pêcheurs ont déjà atteint leur quota de pêche, ce qui n’était pas arrivé depuis plus d’une vingtaine d’années ! Ce qui signifie (je traduis), que les efforts mis en place ont porté leurs fruits : la pibale revient !
Et elle revient de loin. L’anguille part de l’Estuaire, traverse l’Atlantique poussée par le Gulfstream, et va pondre en Mer des Sargasses aux Caraïbes. Les alevins d’anguilles entreprennent alors le voyage retour, retraversent l’Atlantique et remontent l’Estuaire de la Gironde. Ils arrivent à destination à l’âge de trois ans… juste prêts à être dégustés !
Du côté de l’assiette, Jean-Pierre reprend la main et nous montre comment cuisiner les pibales. Autrefois, les pibales étaient cuisinées en sauce au vin, ou cuites au bouillon puis poêlées. La plupart du temps elles étaient trop cuites, et leur texture aussi bien que leur goût ne pouvait alors pleinement s’exprimer. Le secret c’est qu’elles doivent être très peu cuites, au risque de perdre tout leur intérêt.
Jean-Pierre les cuisine à l’espagnole, avec de l’ail, du piment d’Espelette, de l’huile d’olive, du sel et du poivre. Juste un aller-retour, et hop, les pibales quittent leur robe translucide pour devenir toutes blanches. Le tour est joué. C’est délicieux.
Ingrédients pour 4 personnes :
320 g de pibales vivantes (de préférence)
4 gousses d’ail
une bonne pincée de piment d’Espelette haché
huile d’olive
sel
Faites chauffer de l’huile d’olive dans une poêle (n’hésitez pas à avoir la main lourde). Faites revenir les gousses d’ail coupées en fines rondelles. Rajoutez les pibales. Juste un aller-retour, le temps qu’elles deviennent blanches. Parsemez de piment, salez et servez aussitôt.
Merci à Jean-Pierre Xiradakis et Jean-Michel Labrousse pour la transmission de leur savoir et de leur passion.
Pour info, la portion de 80g de pibales est servie 48 euros à Kuzina, 22 rue Porte de la Monnaie. Réservations au 05.56.74.32.92.
Je ne connaissais pas les pibales, merci pour cette découverte !
De rien, avec plaisir 🙂